29/01/2019

THOMAS


THOMAS a 45 ans. Il a, depuis des années, des troubles du sommeil et des crises d'angoisse. Les crises d'angoisse peuvent venir à n'importe quel moment. Les troubles du sommeil se manifestent par des réveils nocturnes, sans raison apparente. Il a tendance à boire un peu de vin, le soir, pour mieux s'endormir. Il y a des périodes où c'est mieux et puis ça revient. La façon dont il me parle de ses crises d'angoisse me fait penser à une cause psychotraumatique, les réminiscences provoquant des angoisses et des cauchemars. Ces derniers ne sont pas toujours interprétés comme tels car, souvent, le patient ne perçoit pas les cauchemars, il sait seulement qu'il se réveille.
Je demande donc à Thomas s'il y a des psychotraumatismes dans son histoire de vie. Il parle tout de suite de la mort de son père, quand il avait 15 ans. Je lui dis que ça vient peut-être de là. Il me dit que ce n'est pas possible car il a géré ça, il y a une dizaine d'années. Et il me raconte que son médecin généraliste de l'époque l'avait envoyé voir une hypnothérapeute. Il ne se souvient plus qui était cette personne, si c'était un médecin, un soignant ou non. Ce qu'il sait, c'est qu'elle lui a permis de parler de parler à son père et de lui dire au revoir, en hypnose. Cela lui a fait du bien. Il s'est senti plus calme et a mieux dormi pendant au moins un an après cette prise en charge. On continue de parler. Est-ce qu'il a fait autre chose ? Oui, me dit-il, la thérapeute lui a aussi fait dire au revoir au Thomas de 15 ans qu'il était resté trop longtemps.
Je lui dit alors que le travail n'est pas terminé, qu'il faut maintenant s'occuper de ce jeune homme de 15 ans
Quand on a un psychotraumatisme à un âge donné, on reste, émotionnellement bloqué à cet âge-là, jusqu'à ce que le problème soit traité.
Pour moi, ce garçon de 15 ans a été, d'une certaine manière, abandonné par son père, mais aussi par le Thomas adulte lors de ce travail. Il aurait fallu s'occuper de lui après avoir dit au revoir au père. J'aurais demandé au grand Thomas de s'occuper du jeune Thomas, de le protéger, de le prendre sous son aile, de lui permettre de grandir à l'intérieur de lui.
Je n'ai pas dit tout ça à Thomas. Je lui ai simplement proposé de s'occuper du jeune Thomas et il est d'accord.
Bénédicte Delamare

27/01/2019

Force de la suggestion ...

Oliver Sacks décrit le cas, dans son livre "L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau", d'un homme qui avait une atteinte périphérique des nefs de l'odorat. Il ne sentait plus et c'était quelque chose de très difficile pour lui car il était gourmand. Il adorait l'odeur du café, des tartines grillées et de bien d'autres bonnes choses. Et puis, dix-huit mois à deux ans plus tard, il s'est mis à nouveau à sentir le café et d'autres odeurs. Et ce fut un grand plaisir pour lui. Le neurologue fit à nouveau des examens. Ses nerfs étaient toujours atteints. Il s'était auto-suggéré de sentir ces odeurs et les sentait à nouveau "pour de vrai". Son cerveau pouvait les lui créer comme il voulait.
Même type d'histoire, toujours décrite par Oliver Sacks, dans son livre Musicophilia, cette fois. C'est le cas d'un mélomane qui devient sourd d'un côté. Il n'entendait plus la stéréo et c'est quelque chose de très difficile pour lui quand il écoute les symphonies qu'il aime tant. Et puis un jour, il entend à nouveau l'effet stéréo. Son oreille n'a pas guéri, mais son cerveau sait lui faire retrouver ce plaisir qu'il apprécie tant. Il se l'est auto-suggéré.
Emile Coué, qui a beaucoup travaillé sur la suggestion, a souvent été caricaturé. On s'aperçoit maintenant, avec l'aide, notamment, de l'épigénétique qu'il avait, sans doute, raison.
Je travaille dans une unité où il y a 5 patients que l'on dit en coma végétatif ou pauci-relationnels. En fait, ils sont beaucoup dans la relation et la communication. Il suffit simplement de les observer. Je leur fait des séances d'hypnose et leur suggère de retrouver des sensations ou des expériences que nous avons tous eues ou que je sais qu'ils ont eues. Qui n'a pas cueilli des fleurs au printemps, au cours d'une promenade ? Qui n'a pas déballé un cadeau ? Qui n'a pas joué au ballon ? ou fait du vélo ? Je les emmène sur ces chemins, m'adaptant aux retours qu'ils m'envoient par leur expression, leur respiration, le battement de leurs paupières ....  Et je les vois s'apaiser, exprimer des émotions. Tout est inscrit dans notre cerveau. Si j'ai déjà couru et ressenti tout le plaisir de courir dans mon corps, je peux retrouver ce plaisir pour de vrai, même si je suis coincé dans un lit.
Que de possibilités ... Que de créativité ...
Gilbert

Gilbert a la jeune cinquantaine. Il n'a pas vue de médecin depuis un moment. Il est au RSA et il a la CMU. Il a peur de tout y compris des médecins. C'est un ami à lui qui lui a dit que j'étais gentille, que cela allait bien se passer avec moi. C'est cet ami, un de mes patients, qui me l'amène. Il me parle un peu de lui d'abord, puis il me laisse seule avec lui.
Gilbert n'a pas bonne mine. Il lui manque des dents, mais il ne va pas chez le dentiste car il a trop peur. Il  a déjà essayé d'y aller mais il tremble tellement qu'il ne peut pas entrer dans le cabinet et il perd connaissance. Avec moi, il tremble aussi, mais c'est quand même un peu mieux. Je l'écoute, je l'encourage, je lui fais des suggestions positives, on est dans l'hypnose conversationnelle. IL me raconte donc un peu sa vie. Plein de ruptures, des pertes d'emploi, des abandons. Au niveau somatique des chutes, des fractures, une maladie orpheline. Il fume du cannabis depuis 35 ans et boit un peu d'alcool tous les soirs  pour pouvoir dormir.
Maintenant qu'il ne tremble plus et que ça se passe bien entre nous, je lui demande ce qui s'est passé dans son enfance. Il a été maltraité, sa mère le tapait. Il a su, quand il avait 15 ans, par hasard, que son père n'était pas son père. Sa mère aurait été violée quand elle avait 15 ans, mais elle n'a jamais voulu en parler. Elle est morte maintenant, et ses soeurs, qui sont encore vivantes, n'en savent pas plus. Elle a ensuite rencontré son futur mari, s'est mariée, a eu deux autres enfants et a toujours fait la différence entre l'aîné et les suivants. Il est parti dès qu'il a pu et n'a jamais pu trouver d'équilibre.
Il voudrait avancer. Il est d'accord pour me revoir. Je lui ai proposé de faire de l'hypnose et ça l'intéresse. On se revoit dans deux semaines.
Il sort avec le sourire

25/01/2017

Pas de mémoire
Je suis depuis peu un couple charmant, à la retraite. Ils ont la soixantaine et sont suffisamment en forme physique pour profiter de cette retraite. Oui, mais Monsieur a une démence type Alzheimer. Sa femme me dit qu'il est très gentil, très doux, facile à vivre, mais il n'a aucune mémoire. En lisant le courrier du gériatre, je vois que le tableau est atypique, il n'y a que la mémoire qui vacille, les autres signes habituels de la maladie ne sont pas présents. Ce matin, je vois Madame toute seule. Je lui pose des questions sur leur vie. Monsieur avait une entreprise, il travaillait énormément. Elle aussi travaillait pour l'entreprise, mais moins, elle s'occupait aussi de leur deux filles. Je lui dit qu'il a du fuir dans le travail. Elle est d'accord. Qu'est-ce qu'il avait besoin de fuir votre mari ? Que lui est-il arrivé ? Elle me raconte qu'il a été agressé sexuellement par les voisins quand il avait huit ans. Il lui a raconté ça au début de leur mariage. Sexuellement, ça n'a jamais été ça, dans leur couple, et ils n'ont plus de rapports depuis longtemps. Ils ont failli divorcé, mais à cause de l'entreprise, ils ne l'ont pas fait. Il n'a jamais été un bavard et il est le seul comme ça dans la famille. Il ne s'est jamais occupé de ses enfants. Il a travaillé, travaillé, travaillé et, quand il a arrêté de travaillé, il a perdu la mémoire. Il a trouvé ses solutions pour ne jamais penser à "ça". Mais qu'est-ce que ça lui a coûté cher ... Sa femme est contente de discuter avec moi de cette vie. Elle me demande si elle doit en parler à ses filles. Je l'encourage. Elles seront contentes d'avoir l'explication d'une chose qu'elles ont ressentie et qu'elles savent déjà. Cela peut les aider ...
Bénédicte Delamare

04/11/2016

Corentin, 30 ans, problèmes d'alcool

Corentin est venu me voir car il a des problèmes d'alcool. Il buvait le soir en rentrant du travail pour apaiser son stress, plusieurs bières, et le week-end, de manière festive avec les amis, sans compter les verres de bière et d'alcools forts. Cela s'est affirmé avec le temps. A 30 ans, Corentin est marié. Sa femme et lui travaillent tous les deux. Ils ont deux enfants de 4 et 6 ans. Il est venu consulter car sa femme ne supporte plus ces alcoolisations et il commence à avoir des réflexions au travail. Il s'est aussi fait peur au volant de sa voiture. Il dit qu'il ne veut pas donner cet exemple à ses enfants. Nous avons discuté. Il a décidé de faire un sevrage en ambulatoire qui s'est bien passé. Il est aussi fumeur mais n'est pas demandeur pour l'instant sur le tabac. Nous avons fait trois séances d'hypnose pour conforter le résultat. A l'avant dernière consultation, il me dit que tout va bien. Il n'a plus envie de boire. Au travail, ça se passe bien. Ses amis l'acceptent avec son jus d'orange ou son eau pétillante. A la maison, ça se passe bien aussi, les enfants sont contents, il s'occupe plus d'eux. Sauf qu'en fin de consultation, il me demande un médicament pour les troubles de l'érection. Nous discutons, il n'avait pas ces problèmes-là quand il buvait. Cela s'est installé depuis qu'il ne boit plus. Je lui explique que c'est le contraire qui était attendu et qu'à son âge, il y a peu de chances qu'il ait ce genre de problèmes. Je lui demande de venir avec sa femme la prochaine fois. Séverine est donc venue la dernière fois. Elle m'explique d'abord qu'elle ne comprend pas pourquoi elle est là car elle n'a pas de problème d'alcool ! On parle de tous ces moments difficiles où elle a dû assurer pour tenir la maison, s'occuper des enfants. Elle raconte tous les efforts qu'elle a fait pour le "sortir du trou". Corentin complète son discours en disant bien qu'heureusement qu'elle était là, qu'elle a assuré, qu'elle l'a épaulé, qu'elle lui a permis de "sortir du trou". Et puis un grand silence. Au bout d'un moment, je propose une hypnose de couple. Ils acceptent. Je demande à leurs inconscients de communiquer et de collaborer ensemble. Corentin est très détendu, il respire lentement, il semble apaisé. Séverine a de nombreuses abréactions, des secousses des membres, des grimaces du visage. Nous terminons la consultation juste après l'hypnose. Pour le prochain rendez-vous, Corenttin viendra seul. Séverine ne peut pas venir.

Bénédicte Delamare